Publié le 12 mai 2024

Face au jeu, beaucoup agissent en pilote automatique, subissant leurs propres impulsions. La clé n’est pas de combattre ces pulsions, mais de les comprendre. Cet article vous guide pour devenir un observateur curieux de votre propre comportement, en utilisant vos actions de jeu non comme des fautes, mais comme des données précieuses. En apprenant à décoder ces signaux, vous transformerez une pratique potentiellement compulsive en un loisir maîtrisé et conscient.

Vous est-il déjà arrivé de terminer une session de jeu et de vous demander pourquoi vous aviez misé autant, ou pourquoi vous aviez continué à jouer malgré la fatigue ? Pour beaucoup de joueurs, ces moments de questionnement arrivent trop tard. Le jeu, censé être un loisir, devient une série d’automatismes, dictés par l’impulsion du moment. La réponse habituelle consiste à se fixer des règles rigides : « ne pas dépasser ce budget », « s’arrêter après une heure ». Ces conseils, bien qu’utiles, traitent le symptôme sans adresser la cause. Ils instaurent une lutte interne, une bataille contre soi-même qui est souvent perdue d’avance.

Mais si la véritable clé n’était pas de vous contraindre, mais de vous comprendre ? Et si, au lieu de voir votre comportement de jeu comme un adversaire, vous appreniez à le considérer comme un messager ? Chaque mise, chaque session prolongée, chaque réaction à une perte ou à un gain est une information. C’est un signal qui vous renseigne sur votre état émotionnel, votre niveau de stress ou vos besoins non comblés. Adopter une posture d’auto-observation curieuse et sans jugement est la première étape pour passer d’un jeu subi à un jeu maîtrisé. C’est l’approche d’un coach bienveillant qui vous regarde et vous demande : « Intéressant. Qu’est-ce que cette action dit de vous, ici et maintenant ? ».

Cet article est construit comme un guide pour développer ce regard intérieur. Nous n’allons pas vous donner des règles à suivre, mais des outils et des grilles de lecture pour décoder vos propres actions. Vous apprendrez à utiliser un journal de bord, à interpréter les signaux d’alarme comme la chasse aux pertes, et à comprendre ce que votre rythme de jeu, vos réactions et même votre historique de paris révèlent sur vos motivations profondes. L’objectif final est de vous donner les clés d’une pratique saine, où le contrôle ne vient pas d’une force extérieure, mais d’une conscience intérieure aiguisée.

Pour vous accompagner dans cette démarche d’introspection, cet article s’articule autour de plusieurs axes d’analyse clés. Découvrez comment chaque facette de votre expérience de jeu peut devenir une source d’apprentissage pour une pratique plus saine et consciente.

Le journal de bord du joueur : l’outil pour mettre votre comportement sous microscope

La première étape pour devenir l’observateur de votre jeu est de cesser de vous fier uniquement à votre mémoire. Nos souvenirs sont sélectifs et souvent biaisés. Pour obtenir une image fidèle, il faut des données. Le journal de bord est l’outil le plus simple et le plus puissant pour collecter ces informations. Il ne s’agit pas de tenir une comptabilité stricte, mais de créer un espace pour noter non seulement le « quoi » (combien j’ai misé, gagné ou perdu), mais surtout le « pourquoi » et le « comment ». Notez l’heure à laquelle vous jouez, l’émotion qui vous a poussé à commencer (ennui, stress, euphorie ?), et ce que vous avez ressenti pendant la session. Cet acte simple transforme une action automatique en un événement conscient et analysable. C’est la base de la méta-cognition du joueur : penser à sa propre façon de penser en jouant.

Comme le souligne l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) dans une de ses décisions, la prévention moderne s’éloigne des simples messages moralisateurs pour se concentrer sur l’analyse factuelle des comportements. Selon l’ANJ, « la société privilégie une approche basée sur les comportements de jeu et leur variation pour déterminer le niveau de risque ». Tenir un journal, c’est appliquer cette approche experte à votre propre échelle. Vous devenez votre propre analyste, capable de repérer des schémas que vous n’auriez jamais vus autrement. Par exemple, vous pourriez découvrir que vous jouez systématiquement plus longtemps et de manière plus risquée après une journée de travail stressante. Cette prise de conscience est la première étape pour trouver des alternatives plus saines pour gérer ce stress.

Il existe plusieurs manières de tenir ce journal, chacune avec ses avantages. L’important est de choisir la méthode qui vous demandera le moins d’effort pour être maintenue sur la durée. Le tableau suivant compare les options les plus courantes pour vous aider à trouver celle qui vous convient.

Comparaison des méthodes de suivi comportemental
Méthode Avantages Limites Efficacité
Journal papier Tangible, personnel Pas d’analyse automatique Moyenne
Application mobile Alertes, graphiques Dépendance au smartphone Élevée
Tableau Excel/Sheets Personnalisable, calculs auto Nécessite discipline Très élevée
Outils ANJ intégrés Données officielles Limité aux plateformes agréées Élevée

Quelle que soit la méthode choisie, la régularité est la clé. Considérez ce journal non comme une corvée, mais comme votre tableau de bord personnel. C’est l’instrument qui vous permettra de naviguer votre pratique du jeu avec clarté et intention, plutôt qu’à l’aveugle.

La chasse aux pertes : le signal d’alarme n°1 que vous perdez le contrôle

Parmi tous les comportements de jeu, il en est un qui agit comme un voyant rouge clignotant sur votre tableau de bord : la « chasse aux pertes » (ou « chasing losses »). Ce phénomène se produit lorsque, après avoir perdu une somme, votre objectif principal n’est plus de vous amuser, mais de « vous refaire ». Le jeu cesse d’être un loisir pour devenir une mission de réparation. C’est l’un des glissements les plus dangereux, car il est alimenté par des émotions puissantes comme la frustration, la colère ou le désespoir, et non par une logique rationnelle. C’est un comportement-signal qui indique une perte de contrôle imminente ou déjà installée. Le simple fait de reconnaître « Ah, en ce moment, je ne joue plus pour le plaisir, j’essaie de récupérer ma perte » est un acte de pleine conscience salvateur.

Cette tendance est loin d’être anecdotique ; elle est un marqueur clé du jeu problématique. Selon une enquête de l’OFDT, près de 7,9 % des joueurs rejouent spécifiquement pour combler une perte financière, un comportement significativement plus fréquent chez les joueurs à risque. Reconnaître ce pattern en soi n’est pas un signe de faiblesse, mais une preuve de lucidité. C’est le moment où l’observateur en vous doit prendre le dessus sur le joueur impulsif. Plutôt que de vous blâmer, posez-vous la question : « Quelle émotion cette perte a-t-elle déclenchée pour que je ressente ce besoin urgent de la compenser ? ». La réponse se trouve souvent dans un sentiment d’injustice, une atteinte à l’ego ou une angoisse financière que le jeu ne fera qu’aggraver.

Prévenir ce comportement est plus efficace que de lutter contre lui une fois qu’il est enclenché. Les opérateurs de jeux agréés en France proposent des outils de modération conçus précisément pour créer des garde-fous. Les utiliser n’est pas un aveu de faiblesse, mais une stratégie intelligente pour protéger votre pratique. En configurant des blocages ou des délais de réflexion, vous créez des « coupe-circuits » qui vous forceront à faire une pause, laissant le temps à l’émotion de retomber et à la rationalité de revenir.

Plan d’action : stratégies préventives contre la chasse aux pertes

  1. Configurer un blocage automatique après 2 dépôts en moins de 3 heures sur votre compte joueur.
  2. Mettre en place une période de réflexion obligatoire (24h) avant de pouvoir effectuer un nouveau dépôt après avoir atteint votre limite.
  3. Définir un budget de jeu mensuel ferme et irrévocable en début de mois, avant de commencer à jouer.
  4. Activer les notifications par email ou SMS qui vous informent de vos pertes cumulées sur la semaine.
  5. Programmer une auto-exclusion temporaire de 48h si une perte sur une session dépasse un montant que vous avez fixé.

La chasse aux pertes transforme le jeu en travail, et un travail voué à l’échec. Apprendre à la repérer et à la désamorcer est sans doute la compétence la plus importante pour garantir que le jeu reste ce qu’il doit être : un simple loisir.

Ce que votre rythme de jeu dit de vous : jouez-vous pour le plaisir ou pour la fuite ?

Au-delà des montants misés, le rythme de votre pratique est un indicateur extrêmement révélateur. Observez-vous : jouez-vous de manière régulière et espacée, par sessions courtes et planifiées ? Ou bien vos sessions de jeu sont-elles longues, intenses, et souvent imprévues, venant combler un vide ou une angoisse ? Un rythme sain est généralement celui d’un hobby : occasionnel, intégré dans un emploi du temps équilibré. Un rythme qui s’accélère, avec des sessions de plus en plus longues et fréquentes, peut être le signal d’un glissement vers l’évasion. Le jeu n’est plus une activité choisie pour le plaisir qu’elle procure, mais une béquille pour échapper à l’ennui, au stress ou à la solitude. La question n’est plus « ai-je envie de jouer ? », mais « ai-je besoin de jouer pour ne pas ressentir autre chose ? ».

Visualisation abstraite de différents rythmes de jeu sous forme de vagues colorées

Cette prise de conscience de la dérive de son propre rythme de jeu pousse de plus en plus de joueurs à prendre des mesures radicales. En France, le nombre de joueurs demandant leur propre interdiction de jeu est en forte hausse. Le registre de l’ANJ comptabilisait 73 439 joueurs auto-exclus au début de 2024, soit une augmentation de près de 26 % en un an. Ce chiffre montre que de nombreux joueurs reconnaissent que leur rythme est devenu incontrôlable et choisissent la seule option qui leur paraît viable pour stopper l’hémorragie. L’auto-observation permet justement d’agir avant d’en arriver à cette extrémité, en repérant les premiers signes d’accélération et en se demandant : « Qu’est-ce qui, dans ma vie en ce moment, me pousse à chercher refuge dans le jeu de manière si fréquente ? ».

Il est aussi intéressant de noter que le rythme de jeu peut être influencé par le type de jeu pratiqué. Une étude de l’ANJ sur le marché français montre des profils très différents. Le parieur sportif est typiquement un homme jeune, dont le rythme de jeu est souvent dicté par le calendrier des compétitions médiatiques. À l’inverse, le joueur de paris hippiques est plus âgé, avec une pratique peut-être plus routinière et quotidienne. Comprendre le profil type associé à votre jeu favori peut vous aider à prendre du recul sur votre propre rythme. Êtes-vous en phase avec une pratique « standard » ou votre fréquence de jeu est-elle atypique, voire excessive, par rapport à la norme ? Cette comparaison n’est pas un jugement, mais un autre outil de décodage comportemental pour affiner votre auto-analyse.

En fin de compte, un rythme de jeu maîtrisé est un rythme qui ne dicte pas votre vie, mais qui s’y intègre harmonieusement. Si vous annulez des activités ou si vous vous isolez pour pouvoir jouer, c’est que le rythme est devenu le maître, et vous, l’esclave. C’est le signal qu’il est temps de reprendre les rênes.

Gagner ou perdre : comment votre comportement change et comment gérer ces deux extrêmes

Votre réaction face à la victoire ou à la défaite est un puissant révélateur de votre rapport au jeu. L’observateur en vous doit porter une attention particulière à ces deux moments extrêmes. Comment vous comportez-vous après un gain important ? Ressentez-vous une euphorie qui vous donne un sentiment de toute-puissance, vous poussant à rejouer immédiatement des sommes plus importantes ? Ce « biais du gagnant » est un piège classique : le cerveau, inondé de dopamine, surestime ses compétences et sous-estime le hasard, menant à des prises de risque démesurées. À l’inverse, comment réagissez-vous à une série de pertes ? Tombez-vous dans la frustration et la « chasse aux pertes » que nous avons déjà évoquée, ou êtes-vous capable d’accepter la perte et d’arrêter de jouer ? Être un joueur conscient, c’est être capable de garder la tête froide dans la tempête comme sur une mer d’huile.

L’intensité de ces réactions peut être amplifiée par le contexte. Les grands événements sportifs sont des laboratoires à ciel ouvert pour observer ces phénomènes. Lors de la Coupe du Monde de football 2022, qui a généré 900 millions d’euros de mises en France, l’ANJ a noté une intensification des comportements à risque. L’euphorie collective et la succession rapide de matchs et de gains potentiels peuvent altérer durablement la perception du risque, surtout chez les parieurs sportifs où la part de joueurs excessifs est six fois plus élevée que pour les jeux de loterie. Si vous pariez sur le sport, observez-vous pendant une grande compétition : l’excitation de l’événement vous pousse-t-elle à miser plus que d’habitude ?

Étude de cas : l’impact de l’euphorie des grands événements sportifs

Une analyse de l’ANJ suite à l’Euro 2020 et la Coupe du Monde 2022 a mis en lumière un pattern comportemental clair. Problème : l’excitation et la fréquence des matchs durant ces compétitions créent un environnement propice à l’escalade des mises et à la distorsion de la perception du risque. Solution observée par les joueurs maîtrisés : définir un budget « spécial compétition » total et non-dépensable avant le début de l’événement, et s’interdire de le réévaluer même après un gain important. Résultats : ces joueurs ont réussi à profiter de l’événement sans que leur pratique de jeu ne dérape, en traitant l’euphorie du gain non comme un signal pour rejouer, mais comme une simple partie du plaisir du spectacle sportif.

Il est également intéressant de noter que, statistiquement, les réactions face à la victoire et à la défaite peuvent différer selon le genre. Une publication de l’OFDT indique que les hommes sont plus touchés par le jeu problématique. En effet, 7,5% des joueurs masculins sont concernés contre 2,2% des joueuses. Bien que les causes soient multifactorielles, cela peut en partie être lié à des différences culturelles dans la gestion de la compétition, du risque et de l’échec. L’important est de ne pas se voir comme une statistique, mais de s’observer soi-même : quelle est MA réaction personnelle au gain et à la perte ?

La gestion de ces extrêmes se résume à une règle simple : ne jamais prendre de décision de jeu (continuer, arrêter, augmenter la mise) sous le coup d’une émotion forte, qu’elle soit positive ou négative. La meilleure décision est toujours celle que l’on prend à froid, avant ou après la session, jamais pendant.

L’erreur de s’isoler pour jouer : pourquoi le jeu doit rester intégré à votre vie sociale

Un autre axe d’observation essentiel est le contexte social de votre pratique. Le jeu est-il une activité que vous partagez, qui s’intègre à vos relations amicales et familiales ? Ou est-ce devenu un jardin secret, une activité solitaire que vous pratiquez en cachette ? L’isolement est un puissant catalyseur de la perte de contrôle. Seul face à l’écran, sans le regard modérateur des autres, sans les interruptions naturelles de la vie sociale, il est beaucoup plus facile de perdre la notion du temps et de l’argent. Si vous vous surprenez à décliner des sorties pour pouvoir jouer, ou si vous mentez à vos proches sur le temps que vous y consacrez, c’est un comportement-signal majeur qui indique que le jeu prend une place disproportionnée et qu’il sort de la sphère du simple loisir.

Ce risque d’isolement est particulièrement présent dans certaines pratiques, notamment les paris sportifs en ligne, qui attirent une population jeune et très connectée. Les données de l’ANJ confirment que le profil type du parieur en ligne est un jeune homme : près de 89 % des parieurs sportifs en ligne sont des hommes de moins de 35 ans. Pour cette population, le jeu peut être perçu comme une activité sociale (on en parle entre amis, on regarde les matchs ensemble), mais la pratique effective de la mise se fait souvent de manière isolée, via un smartphone. L’enjeu est de maintenir le jeu dans sa dimension de partage (le commentaire du match, le débat sur les pronostics) sans le laisser envahir l’espace personnel et solitaire au détriment des interactions réelles.

Le maintien des liens sociaux n’est pas seulement un facteur de prévention, c’est aussi un pilier du rétablissement en cas de pratique problématique. Des analyses sur le processus de guérison du jeu excessif soulignent l’importance de se reconnecter à des activités sociales et porteuses de sens. Comme le résume une synthèse des facteurs de rétablissement proposée par Addict’Aide, le chemin vers une pratique saine passe par un engagement renouvelé dans la vie sociale et l’amélioration du bien-être relationnel.

Le processus de rétablissement implique de s’engager dans des activités qui ont du sens pour l’individu, au-delà d’éviter simplement l’inactivité. L’amélioration du bien-être social fait partie intégrante des quatre caractéristiques principales du rétablissement pour le jeu problématique, soulignant l’importance cruciale de maintenir et renforcer les liens sociaux.

Analyse des facteurs de rétablissement sur Addict’Aide

En définitive, le jeu doit rester une activité « dans » la vie, et non « à la place » de la vie. S’il vous coupe de vos proches, il ne vous apporte plus de plaisir, il vous prend votre bien-être. Maintenir le jeu comme un sujet de conversation ouvert et transparent avec votre entourage est le meilleur garde-fou contre la dérive vers l’isolement.

Votre historique de jeu : le miroir de votre comportement de joueur, osez-vous y regarder ?

Si le journal de bord est votre carnet de notes subjectif, l’historique de jeu fourni par les opérateurs agréés est le miroir objectif et implacable de vos actions. C’est un relevé factuel, sans émotion et sans filtre, de chaque euro misé, de chaque session, de chaque dépôt. Beaucoup de joueurs évitent de le consulter, par peur de ce qu’ils pourraient y découvrir. Pourtant, oser regarder cet historique est un acte de courage et de lucidité fondamental. C’est l’outil de décodage comportemental le plus puissant à votre disposition, car il est basé sur des données irréfutables. Il vous permet de confronter la perception que vous avez de votre pratique (« je joue de temps en temps pour des petites sommes ») à la réalité brute des chiffres.

L’analyse de ces données peut être choquante, mais elle est nécessaire. Elle peut révéler des dépenses mensuelles bien plus élevées que ce que vous imaginiez, des sessions de jeu nocturnes dont vous n’aviez pas conscience de la durée, ou un schéma de dépôts répétés après une perte significative. C’est en regardant ces chiffres que l’on prend la pleine mesure de l’impact financier du jeu. Cette démarche est d’autant plus importante que, collectivement, une part très significative des revenus des opérateurs provient des joueurs ayant une pratique à risque. Les dernières données de l’OFDT révèlent que 38,3 % du produit brut des jeux (PBJ) est généré par les joueurs problématiques. Ce chiffre vertigineux montre que le modèle économique du secteur repose en partie sur les pratiques excessives. Consulter votre historique, c’est vérifier si, à votre échelle, vous ne participez pas malgré vous à cette statistique.

Analyser son historique ne doit pas se faire au hasard. Pour que l’exercice soit constructif, il faut le faire de manière structurée. Ne vous contentez pas de survoler le solde final. Prenez le temps de télécharger vos données sur plusieurs mois et de chercher des patterns, des répétitions, des signaux faibles. Identifiez les jours de la semaine où vous jouez le plus, calculez la durée moyenne de vos sessions, ou encore le délai entre une perte et un nouveau dépôt d’argent. Les plateformes agréées par l’ANJ en France ont l’obligation de vous donner un accès simple et complet à ces informations. Profitez-en pour faire un véritable audit de votre comportement. Comparez vos dépenses de jeu à d’autres postes de votre budget loisirs (cinéma, restaurants, abonnements…). Le jeu est-il devenu votre principale, voire unique, source de dépense pour le plaisir ? C’est une question à laquelle seul votre historique peut répondre avec certitude.

Regarder son historique en face, c’est comme monter sur la balance après une période d’excès : le chiffre peut être désagréable, mais c’est la seule base fiable pour décider des actions correctrices à mettre en place. C’est une étape indispensable vers un jeu conscient et maîtrisé.

Que cherchez-vous vraiment dans le jeu ? identifier l’émotion qui déclenche l’envie de jouer

Après avoir observé le « quoi » (historique de jeu) et le « comment » (rythme, réactions), il est temps de plonger dans le « pourquoi ». Quelle est l’émotion, le sentiment ou le besoin qui appuie sur le bouton « jouer » dans votre cerveau ? Souvent, l’envie de jouer n’est pas une simple envie de s’amuser. C’est un comportement-signal qui masque autre chose : le besoin de tromper l’ennui, de calmer une anxiété, de fuir un sentiment de solitude, de ressentir une montée d’adrénaline pour se sentir vivant, ou encore de se prouver sa valeur après un échec. Identifier ce déclencheur émotionnel est la clé de voûte de l’auto-observation. Tant que vous ne saurez pas quelle « faim » vous essayez de nourrir avec le jeu, vous continuerez à y retourner de manière compulsive.

Carnet ouvert avec représentations visuelles abstraites d'émotions et de patterns comportementaux

La prochaine fois que vous ressentez une forte envie de jouer, faites une pause de deux minutes. Fermez les yeux et demandez-vous : « Qu’est-ce que je ressens, là, maintenant ? ». Est-ce de la tristesse ? De la colère ? De l’ennui ? De l’excitation ? Ne jugez pas l’émotion, nommez-la simplement. Puis, demandez-vous : « Qu’est-ce que j’espère que le jeu va faire pour cette émotion ? ». Vous réaliserez peut-être que vous espérez que le jeu vous distraira de votre tristesse ou qu’il transformera votre ennui en excitation. Cette simple prise de conscience ouvre la porte à une question beaucoup plus puissante : « Existe-t-il une autre manière, plus saine et plus constructive, de répondre à cette émotion ? ». Si c’est l’ennui, ne pourriez-vous pas appeler un ami ou commencer un livre ? Si c’est le stress, ne pourriez-vous pas faire une courte séance de sport ou de méditation ?

Ce travail introspectif est au cœur des stratégies de rétablissement efficaces. Une analyse des parcours de joueurs ayant surmonté une pratique problématique met en évidence quatre piliers. Le premier est un travail introspectif pour reconnaître la nature de son trouble. Viennent ensuite l’engagement actif dans le changement, l’investissement dans des activités alternatives porteuses de sens, et enfin, l’amélioration du bien-être général. Comprendre ses déclencheurs émotionnels est la fondation de tout ce processus. C’est ce qui permet de passer d’une lutte contre le jeu à la construction d’une vie plus riche où le jeu n’est plus une nécessité.

En fin de compte, le jeu ne résout jamais le problème émotionnel sous-jacent. Au mieux, il le met en sourdine pour un court instant, souvent en l’aggravant sur le long terme. Apprendre à identifier et à répondre à vos émotions de manière directe est la seule stratégie gagnante.

À retenir

  • Votre comportement de jeu est une donnée, pas une fatalité. Apprenez à l’observer avec curiosité.
  • La « chasse aux pertes » est le signal d’alarme le plus critique. Le prévenir est plus simple que de le combattre.
  • L’isolement est un catalyseur de perte de contrôle. Le jeu doit s’intégrer à votre vie sociale, pas la remplacer.

Le jeu maîtrisé : les clés pour une pratique saine et durable

Au terme de ce parcours d’observation, toutes les pièces du puzzle se mettent en place. Le jeu maîtrisé n’est pas un jeu sans règles, mais un jeu conscient. C’est une pratique où vous n’êtes plus en pilote automatique, mais où vous tenez le volant, conscient des signaux que votre tableau de bord (votre journal, votre historique, vos émotions) vous envoie. Vous avez appris à décoder votre rythme, à identifier vos déclencheurs émotionnels, à reconnaître les situations à risque comme la chasse aux pertes ou l’euphorie d’un gain. Le contrôle ne vient plus d’une lutte épuisante contre vos propres pulsions, mais d’une compréhension fine de leur origine. Vous savez maintenant que l’envie de jouer n’est souvent qu’un symptôme, et vous avez commencé à développer d’autres stratégies pour répondre à la cause réelle.

Cette démarche est d’une importance capitale, car le jeu problématique n’est pas un phénomène marginal. En France, les estimations indiquent qu’environ 1,4 million de joueurs ont une pratique à risque, dont près de 400 000 sont considérés comme des joueurs pathologiques. Derrière ces chiffres se trouvent des vies impactées, des difficultés financières et une détresse psychologique. S’engager dans une démarche d’auto-observation, c’est prendre soin de soi et s’assurer de toujours rester dans la sphère du loisir, loin de ces zones de danger. C’est un acte de prévention et de responsabilité envers soi-même et envers ses proches.

La pratique saine et durable repose sur un équilibre dynamique. Il ne s’agit pas d’atteindre un état de contrôle parfait et définitif, mais de maintenir une vigilance bienveillante. Continuez à vous observer, à ajuster vos stratégies. Peut-être qu’une nouvelle source de stress dans votre vie nécessitera de nouveaux garde-fous temporaires. Peut-être réaliserez-vous qu’un certain type de jeu est plus propice aux dérapages pour vous et déciderez de l’éviter. Le jeu maîtrisé est un chemin, pas une destination. C’est l’intégration de cette posture d’observateur curieux dans votre quotidien, transformant chaque session de jeu en une opportunité d’en apprendre un peu plus sur vous-même.

Pour que cette approche devienne un automatisme positif, il est essentiel de réviser régulièrement les clés qui permettent de maintenir une pratique du jeu saine sur le long terme.

Si, malgré cette démarche, vous sentez que votre pratique vous échappe ou vous fait souffrir, n’hésitez jamais à chercher une aide extérieure. Des structures comme Joueurs Info Service proposent une écoute et un soutien professionnels, anonymes et gratuits. Reconnaître qu’on a besoin d’aide n’est pas un échec, c’est l’étape la plus courageuse sur le chemin de la maîtrise.

Rédigé par Élodie Lambert, Psychologue clinicienne spécialisée dans les comportements addictifs depuis plus de 15 ans, Élodie se consacre à la prévention et à la promotion d'une approche saine et maîtrisée du jeu.